Les pulsions : entre corps, désir et langage

Les pulsions occupent une place centrale dans la théorie psychanalytique. Elles constituent le point de jonction entre le corps biologique et la vie psychique. Comprendre ce qu’est une pulsion, c’est donc comprendre comment le psychisme humain s’organise autour du désir, du manque et de la recherche de satisfaction. Dans cet article, nous explorerons ce que représente la pulsion en psychanalyse, de Freud à Lacan, en passant par les grands développements de la métapsychologie.

Définition de la pulsion selon Freud

Silhouette humaine divisée en deux moitiés contrastées, symbolisant la dualité des pulsions en psychanalyse, entre vie et mort, ombre et lumière, dans un style artistique aux tons chauds et texturés.

Sigmund Freud introduit le concept de Trieb (traduit par « pulsion ») pour désigner une force interne qui pousse le sujet à agir afin de réduire une tension interne. Dans son texte fondateur Pulsions et destins des pulsions (1915), Freud définit la pulsion comme un « concept-limite entre le psychique et le somatique » : elle prend racine dans le corps mais trouve sa satisfaction dans le psychisme.

Freud distingue plusieurs composantes de la pulsion :

  • La source : le point d’excitation corporelle (par exemple, la bouche, la peau, les organes génitaux) ;
  • Le but : la satisfaction, c’est-à-dire la suppression de la tension ;
  • L’objet : ce par quoi la pulsion atteint son but (par exemple, le sein, la parole, le regard) ;
  • La poussée : la force qui met le sujet en mouvement.

Ces quatre éléments permettent de comprendre que la pulsion n’est pas un simple instinct biologique : elle implique une part de subjectivité, de représentation et de lien à l’autre.

Les types de pulsions selon Freud

Freud distingue d’abord les pulsions du Moi (ou d’auto-conservation) et les pulsions sexuelles. Mais à partir de 1920, dans Au-delà du principe de plaisir, il introduit une nouvelle opposition : celle entre les pulsions de vie (Eros) et les pulsions de mort (Thanatos).

Les pulsions de vie tendent vers la création, la liaison, la sexualité et la continuité du vivant.

Les pulsions de mort, quant à elles, œuvrent à la destruction, à la répétition, et au retour à un état inanimé. Freud montre ainsi que la vie psychique est traversée par une tension constante entre des forces de construction et de déliaison.

Des pulsions au désir : l’apport de Lacan

Jacques Lacan, en reprenant et en transformant la pensée freudienne, souligne que la pulsion n’est jamais entièrement satisfaisable. Elle tourne autour de son objet sans jamais l’atteindre complètement. C’est cette impossibilité de satisfaction totale qui alimente le désir.

Pour Lacan, la pulsion est structurée comme un circuit : elle fait le tour de son objet, qu’elle ne vise pas directement mais dont elle tire sa jouissance. L’objet n’est pas tant une chose réelle qu’un élément symbolique, ce qu’il appelle l’objet a, cause du désir.

La pulsion orale, par exemple, ne se réduit pas à l’acte de manger : elle met en jeu le plaisir d’incorporer, d’être comblé mais aussi de parler et d’être entendu. Ainsi, la pulsion n’est pas que corporelle : elle est toujours prise dans le langage et la relation à l’autre.

Les destins possibles de la pulsion

Freud décrit plusieurs « destins » possibles pour la pulsion :

  • La répression : lorsque la pulsion est refoulée dans l’inconscient, ce qui peut engendrer des symptômes névrotiques ;
  • La sublimation : lorsque l’énergie pulsionnelle est dérivée vers des buts socialement valorisés (art, recherche, création) ;
  • Le retournement contre soi : la pulsion peut se retourner vers le sujet lui-même, comme dans la culpabilité ou la mélancolie ;
  • L’inversion dans le contraire : par exemple, transformer la haine en amour ou l’activité en passivité.

Ces destins illustrent la plasticité de la vie pulsionnelle, capable de se transformer et de se symboliser mais aussi de se figer dans le symptôme lorsqu’elle est empêchée.

Pourquoi les pulsions sont essentielles pour comprendre le psychisme

En psychanalyse, les pulsions ne sont pas des forces à éliminer, mais à comprendre. Elles témoignent de notre humanité, de notre rapport au manque, à la jouissance et à l’autre. Leur expression ou leur refoulement influencent profondément nos émotions, nos relations et nos créations.

Travailler sur les pulsions, c’est donc chercher à entendre ce qui, en nous, insiste pour se dire autrement. C’est ce que la cure analytique permet : donner une place à ce qui se répète, à ce qui revient, pour transformer la contrainte en parole.

Références bibliographiques

  • Freud, S. (1915). Pulsions et destins des pulsions. In Métapsychologie. Paris : Gallimard.
  • Freud, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. Paris : PUF.
  • Lacan, J. (1964). Le Séminaire, Livre XI : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris : Seuil.
  • Laplanche, J., & Pontalis, J.-B. (1967). Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF.

Conclusion

La pulsion en psychanalyse ne se réduit ni à l’instinct, ni au simple désir : elle exprime la dynamique même du psychisme humain, toujours en tension entre satisfaction et interdiction, entre le corps et la parole. Comprendre les pulsions, c’est comprendre ce qui, en nous, fait lien, mouvement et subjectivité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *