Le narcissisme : comprendre l’amour de soi

Qu’en dit la psychanalyse ?

Le mot narcissisme envahit aujourd’hui les discussions. On parle de pervers narcissiques, de génération narcissique ou encore d’un monde centré sur soi. Cependant, derrière ces clichés, que dit vraiment la psychanalyse du narcissisme ? Est-ce un excès d’ego… ou une base essentielle de notre équilibre intérieur ?

Qu’est-ce que le narcissisme ?

Le terme vient du mythe de Narcisse, ce jeune homme tombé amoureux de son reflet. En psychologie, le narcissisme désigne l’amour de soi, indispensable pour exister, se sentir digne d’amour et entrer en relation avec autrui.

Un narcissisme sain permet de s’aimer sans arrogance, d’avoir confiance en soi sans mépriser les autres. Or, quand cet amour de soi devient fragile ou excessif, il peut se transformer en blessure narcissique ou en besoin maladif d’admiration.

représentation de Narcisse en noir et blanc

Freud : le narcissisme comme fondement du psychisme

Le fondateur de la psychanalyse, Sigmund Freud, introduit le concept en 1914 dans Pour introduire le narcissisme. Il distingue deux formes principales :

  • Le narcissisme primaire : celui du bébé, centré sur lui-même, comblé par la satisfaction de ses besoins.
  • Le narcissisme secondaire : celui de l’adulte, qui a appris à aimer les autres, mais qui peut, face à la blessure ou à la déception, retirer son amour du monde pour le ramener vers lui-même.

Pour Freud, le narcissisme n’est pas une pathologie : c’est le socle du sentiment d’existence.

Le miroir et l’image de soi

Pour Jacques Lacan, le narcissisme naît au stade du miroir (vers 6 à 18 mois). L’enfant découvre son image et s’exclame intérieurement : « C’est moi ! ». Ce moment fondateur lui donne une impression d’unité. Néanmoins, cette image est en réalité idéalisée.

Le « moi » se construit ainsi à partir d’un reflet imaginaire, dépendant du regard de l’autre. Le narcissisme, chez Lacan, n’est donc pas seulement un amour de soi mais un amour de son image, fragile car soumis à la reconnaissance d’autrui.

L’importance du regard qui valorise

Le psychanalyste britannique Donald Winnicott met en avant le rôle du regard maternel dans la construction du narcissisme. Quand la mère (ou la figure d’attachement) regarde son bébé avec amour, elle lui renvoie l’image d’un être digne d’intérêt. Ce reflet nourrit la confiance en soi.

Cependant, si ce regard est absent ou froid, l’enfant peut développer une faille narcissique : il cherchera toute sa vie à être vu, reconnu, admiré. Comme le dit Winnicott, l’enfant a besoin d’avoir été “suffisamment vu” pour pouvoir se sentir réel.

Le narcissisme, besoin vital de reconnaissance

Le psychanalyste américain Heinz Kohut, fondateur de la psychologie du self, voit dans le narcissisme une quête légitime d’amour et de cohérence. Chacun a besoin d’être admiré, compris, valorisé. Non pour dominer mais pour exister.

Quand ces besoins sont frustrés, la personne peut développer une personnalité narcissique pathologique : recherche d’admiration constante, hypersensibilité à la critique, relations centrées sur la valorisation de soi.

Chez Kohut, le narcissisme est un besoin humain fondamental, qui devient destructeur seulement lorsqu’il n’a pas trouvé d’écho bienveillant dans l’enfance.

Narcissisme pathologique : quand l’amour de soi devient défense

Le narcissisme pathologique n’est pas un excès d’amour de soi mais souvent une défense contre un vide intérieur. Sous l’apparente confiance, il y a une peur de la dévalorisation, un sentiment d’insécurité. Voici les signes les plus fréquents :

  • Un besoin constant d’admiration
  • Une intolérance à la critique
  • Une faible empathie
  • Une tendance à contrôler ou séduire l’autre pour se rassurer

Ce type de fonctionnement peut mener à des relations toxiques, comme le décrit Marie-France Hirigoyen (1998) dans Le harcèlement moral, où le sujet rabaisse autrui pour se sentir supérieur.

Vers un narcissisme sain : s’aimer sans se perdre

Un narcissisme équilibré, c’est la capacité :

  • à s’aimer malgré ses failles,
  • à recevoir la critique sans se dévaloriser,
  • à aimer les autres sans se dissoudre en eux.

La psychanalyse nous enseigne que le narcissisme est à la fois le miroir et le moteur du psychisme. Sans lui, pas d’amour de soi. Avec excès, il devient prison. Travailler cette composante narcissique en psychothérapie peut s’avérer très salutogène.

S’aimer pour mieux aimer

Le narcissisme n’est pas un défaut : c’est la racine de notre identité. Apprendre à s’aimer, c’est apprendre à vivre, à donner et à recevoir sans craindre de disparaître. Entre Freud, Lacan, Winnicott et Kohut, la psychanalyse nous rappelle que le véritable amour de soi n’est pas vanité mais humanité.

Références

  • Freud, S. (1914). Pour introduire le narcissisme.
  • Lacan, J. (1949). Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je.
  • Winnicott, D. W. (1965). Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de l’enfant.
  • Kohut, H. (1971). The Analysis of the Self.
  • Hirigoyen, M.-F. (1998). Le harcèlement moral.

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