La nostalgie : quand le souvenir protège de la mélancolie

La nostalgie est souvent perçue comme une douce tristesse, un moment où l’on se replonge dans le passé avec émotion. Pourtant, derrière ce sentiment familier, se cache un mécanisme psychique complexe. Selon les psychologues Kelly Poracchia et Mohammed Ham (Université Côte d’Azur), la nostalgie joue un rôle essentiel : elle permettrait de préserver le désir et l’équilibre psychique face au vide laissé par la perte.

Nostalgie : entre désir et regret

Le mot nostalgie vient du grec nostos (le retour) et algos (la douleur). Il désigne ce désir de retour vers un temps ou un lieu perdu, souvent idéalisé. C’est ce qu’on ressent lorsqu’on repense à son enfance, à un ancien amour ou à un « avant » révolu.
Cependant, selon Poracchia et Ham, ce que l’on croit regretter : un lieu, une personne, une époque ; n’est pas réellement l’objet de la nostalgie. Ce qui nous manque, c’est l’état intérieur associé à ce passé : une insouciance, une chaleur, un sentiment d’unité avec le monde. Autrement dit, la nostalgie est moins un souvenir du passé qu’un désir de retrouvailles avec soi-même.

Quand la nostalgie empêche la mélancolie

Les auteurs distinguent la nostalgie de la mélancolie (aujourd’hui appelée dépression mélancolique en psychologie clinique).

  • Dans la mélancolie, la perte d’un être cher ou d’un idéal provoque un effondrement du moi : la personne se vide de son énergie et s’enferme dans la culpabilité.
  • Dans la nostalgie, au contraire, le sujet donne une forme imaginaire à ce qu’il a perdu. Il idéalise l’objet disparu (le passé, l’amour, la patrie…) et le garde vivant dans son esprit.

Cette idéalisation protège : elle empêche la chute dans la douleur sans fond de la mélancolie.
En rêvant, en écrivant, en se souvenant, le nostalgique transforme la perte en matière vivante. C’est un moyen inconscient de ne pas sombrer dans le désespoir.

Le souvenir comme refuge

Historiquement, la nostalgie a d’abord été considérée comme une maladie du déracinement. Au XVIIᵉ siècle, le médecin Johannes Hofer parlait du mal du pays (Heimweh), observé chez les soldats suisses exilés.
Certains tombaient malades à l’écoute d’un simple air de musique rappelant leur montagne natale : le célèbre Ranz des vaches.
Cette mélodie ravivait des émotions si fortes qu’elle pouvait, dit-on, conduire à la mort par chagrin.

Au fond, ce que ces soldats regrettaient, ce n’était pas leur village mais le temps où ils s’y sentaient vivants et entiers. Comme l’a souligné le philosophe Vladimir Jankélévitch, la nostalgie n’est pas un mal de l’espace mais un mal du temps : ce que l’on voudrait retrouver, c’est l’irréversible.

Entre souvenir et illusion

La nostalgie fige parfois le désir : on reste accroché à un passé idéalisé, incapable d’aller vers l’avenir. Pourtant, elle a aussi une fonction vitale : elle sauvegarde le lien à l’objet perdu, qu’il s’agisse d’une personne, d’une langue, d’un lieu ou d’un idéal.

Cette tension entre la perte et l’espérance fait toute la richesse du sentiment nostalgique.
En sublimant la perte, le sujet trouve une manière de rester vivant malgré l’absence.
C’est une façon d’aimer encore, sans pouvoir retrouver ce qui a été perdu.

La nostalgie, une force créatrice

Dans cette perspective, la nostalgie n’est pas seulement un enfermement dans le passé : elle peut devenir un moteur de création.
L’écrivain exilé Ovide, ou plus tard Primo Levi, ont puisé dans la douleur du manque la force d’écrire.
La nostalgie, quand elle s’exprime, transforme la douleur en parole, le silence en récit, l’absence en œuvre.

C’est là toute la différence avec la mélancolie :

  • le mélancolique s’effondre sous le poids de la perte,
  • le nostalgique en fait une histoire.

Nostalgie primordiale : une quête de soi

Pour les psychanalystes, la nostalgie renvoie à une perte bien plus ancienne : celle du lien fusionnel avec la mère, ou de cette complétude première que chacun cherche inconsciemment à retrouver.
C’est une nostalgie universelle, fondatrice du désir humain.
Vivre, c’est accepter d’être séparé, mais aussi de garder vivante cette part de rêve qui relie à l’origine.

En résumé

La nostalgie n’est pas une faiblesse : c’est une tentative poétique et psychique de donner du sens à la perte.
Elle permet de ne pas sombrer dans la mélancolie, en donnant une forme imaginaire à ce qui manque.
Quand elle ne se transforme pas en fuite du présent, elle devient un espace de mémoire, de créativité et de désir.

Référence

Poracchia, K. & Ham, M. (2024). L’insaisissable objet de la nostalgie. D’une matérialisation imaginaire de l’objet pour se séparer de la mélancolie. Psychothérapies, 44(1), 18–31. Éditions Médecine & Hygiène.

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