La théâtrothérapie : un outil de transformation

Introduction : soigner par le jeu et la scène

La théâtrothérapie et le psychodrame appartiennent aux thérapies psychocorporelles et psychodynamiques qui mettent le jeu, la mise en scène, le corps et la créativité au cœur du processus thérapeutique.
Nées du travail pionnier de Jacob Levy Moreno, ces approches invitent les patients à explorer leurs émotions, leurs conflits internes et leurs relations à travers des situations jouées.

Loin d’être un simple divertissement, le jeu dramatique devient un espace transitionnel, un lieu où l’on peut expérimenter, transformer et symboliser, rejoignant ici les conceptions de Winnicott sur le jeu comme espace potentiel de croissance psychique.

Qu’est-ce que le psychodrame ?

Origines : l’héritage de J. L. Moreno

Le psychodrame est créé au début du XXᵉ siècle par Jacob Levy Moreno, psychiatre et philosophe. Pour lui, « le théâtre est né pour guérir ». Il conçoit le psychodrame comme une méthode permettant de rejouer sa vie pour mieux la transformer, en mobilisant :

  • la spontanéité,
  • la créativité,
  • le mouvement,
  • les interactions groupales.

Moreno développe la notion de catharsis par l’action : le fait d’exprimer par le corps et la mise en scène ce qui, autrement, reste enfoui ou indicible.

Le cadre du psychodrame

Le psychodrame se pratique en groupe ou en individuel, avec :

  • un metteur en scène (le thérapeute),
  • un protagoniste (la personne qui joue),
  • des egos auxiliaires (les autres participants qui prennent des rôles).

Le travail se déroule en plusieurs temps : échauffement, mise en scène / jeu dramatique, partage et élaboration collective. Cette mise en mouvement permet une désinhibition, une prise de conscience profonde et une transformation des représentations internes.

La théâtrothérapie : quand le théâtre devient soin

La théâtrothérapie reprend les outils du théâtre (corps, voix, improvisation, rôle) pour accompagner les patients dans une démarche de mieux-être. Inspirée du psychodrame mais plus souple, elle intègre également des apports :

  • de l’art-thérapie,
  • de la psychanalyse,
  • des méthodes d’improvisation théâtrale,
  • de l’expression corporelle.

L’objectif n’est pas de produire une performance artistique, mais de déposer, rejouer, transformer ce qui fait souffrance.

Les bénéfices reconnus

La théâtrothérapie permet de :

  • explorer des émotions difficiles dans un cadre sécurisé,
  • travailler l’estime de soi,
  • expérimenter d’autres postures relationnelles,
  • retrouver de la spontanéité,
  • mettre du jeu (au double sens du terme) dans ce qui est figé psychiquement.

Le rôle devient un support projectif, un espace où l’on peut être soi tout en étant un autre, ce que Winnicott nommerait une expérience transitionnelle.

Fondements théoriques majeurs

Moreno : spontanéité, créativité, catharsis

Pour Moreno, l’être humain se construit dans la rencontre et le jeu.
La spontanéité est la force créatrice qui permet d’affronter la réalité autrement.
Le psychodrame devient alors une « catharsis de l’action » où rejouer une scène permet de réécrire sa propre histoire.

Winnicott : le jeu comme espace potentiel

Le jeu est un espace où le sujet peut être créatif, expérimenter, et exister pleinement.
La théâtrothérapie reprend cette idée : on joue « comme si », pour mieux comprendre ce qui est.

Didier Anzieu : le Moi-peau et l’enveloppe psychique

L’engagement du corps, de la voix et du mouvement permet de travailler l’unité psychique et l’enveloppe protectrice du Moi.

Blatner : le psychodrame comme outil de développement

Adam Blatner, l’un des principaux théoriciens contemporains du psychodrame, insiste sur son pouvoir à élargir la conscience, la créativité et les possibilités d’être.

Approche psychanalytique du psychodrame

En France, Le Guen, Kestemberg et d’autres ont développé un psychodrame psychanalytique, mettant l’accent sur le transfert, l’interprétation et la symbolisation.

Pour quels patients ?

Le psychodrame et la théâtrothérapie sont utiles dans de nombreuses situations :

  • difficultés relationnelles,
  • anxiété, inhibition, phobie sociale,
  • dépression, troubles de l’estime de soi,
  • traumatismes (dans un cadre adapté),
  • troubles psychosomatiques,
  • accompagnement des adolescents,
  • travail sur les émotions.

Ces approches sont particulièrement bénéfiques pour les personnes qui ont du mal à verbaliser ou à accéder à leur vécu interne.

En séance : comment cela se passe ?

En psychodrame

  • Le thérapeute propose de jouer une scène réelle ou imaginaire.
  • Le patient choisit qui incarne les rôles.
  • Les scènes sont rejouées, transformées, amplifiées.

Ce travail mobilise le corps, la mémoire émotionnelle et la symbolisation.

En théâtrothérapie

Les outils peuvent être :

  • jeux d’improvisation,
  • travail sur les masques,
  • exploration de la voix,
  • posture corporelle,
  • scènes imaginées ou inspirées de la vie quotidienne.

L’essentiel est le processus, pas la performance.

Les effets thérapeutiques : mettre son histoire en mouvement

Le jeu dramatique :

  • désamorce les défenses,
  • active la mémoire affective,
  • permet d’externaliser et transformer des émotions difficiles,
  • ouvre d’autres possibles psychiques,
  • crée un sentiment de sécurité et de soutien dans le groupe.

La scène devient un lieu où l’on peut répéter, réparer et réinventer.

Références théoriques majeures

  • Moreno, J. L. (1946). Psychodrama. Beacon Press.
  • Blatner, A. (1996). Acting-In: Practical Applications of Psychodramatic Methods. Springer.
  • Winnicott, D. W. (1971). Jeu et réalité. Gallimard.
  • Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau. Dunod.
  • Kestemberg, E. (1968). Le psychodrame psychanalytique. PUF.
  • Le Guen, C. (1985). Psychodrame et psychanalyse. Payot.

Conclusion : la puissance transformatrice du jeu

La théâtrothérapie et le psychodrame offrent un espace unique où le corps, la parole, le mouvement et l’émotion se rencontrent.
En permettant au patient de mettre en scène ses conflits internes, ces approches ouvrent un chemin vers la symbolisation, la créativité et la transformation. Elles rappellent que la thérapie n’est pas seulement un travail de parole, mais aussi un travail de présence, de mouvement et de création.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *