Haine et amour : deux faces d’une même médaille

Comprendre la haine : une émotion humaine fondamentale

Souvent perçue comme une émotion à bannir, associée à la destruction, à la colère ou à la vengeance, pourtant, du point de vue psychanalytique, la haine fait partie intégrante de la vie psychique. Elle exprime une ambivalence fondamentale qui traverse tout être humain : aimer et haïr un même objet.

Freud (1915), dans son texte sur les pulsions et leurs destins, montre que la haine est antérieure à l’amour. L’enfant, dans ses premières expériences de frustration, rencontre la douleur d’un désir non satisfait. De cette déception naît la haine, dirigée vers l’objet qui refuse ou qui manque. Autrement dit, c’est d’abord une manière de se défendre contre la dépendance à l’autre.

Haine et amour : deux faces d’une même pulsion

Pour la psychanalyse, amour et haine ne sont pas opposés mais indissociables. Comme le souligne Mélanie Klein (1932), le nourrisson vit dans un monde où le « bon sein » et le « mauvais sein » coexistent. L’enfant aime l’objet qui le nourrit et le hait lorsqu’il le frustre. Cette ambivalence primitive fonde la vie affective.

Chez Winnicott (1947), la haine du bébé à l’égard de sa mère fait partie du développement normal. C’est la capacité de la mère à supporter cette haine sans réagir par la réciproque qui permet à l’enfant de se sentir réel, reconnu dans sa destructivité. Elle devient alors un espace de vérité relationnelle, une preuve de la solidité du lien.

Lacan (1960) va plus loin : il introduit la notion d’haine-amour, ou « hainamoration », pour désigner la proximité extrême entre ces deux affects. Ce que nous haïssons le plus intensément est souvent ce qui nous touche le plus profondément. Ces deux états se nourrissent du même attachement, de la même intensité pulsionnelle.

Pourquoi travailler ce sentiment en thérapie ?

En thérapie, la haine refoulée ou niée peut être à l’origine de nombreuses souffrances : somatisations, angoisses, culpabilité ou comportements auto-destructeurs. Reconnaître et accueillir sa haine, c’est se réapproprier une part vivante de soi-même.

Travailler la haine, ce n’est pas encourager la violence. C’est au contraire permettre de mettre des mots sur ce qui, autrement, agirait dans l’ombre. Dans le cadre du transfert, la haine peut se rejouer vis-à-vis du thérapeute. L’important n’est pas d’éviter ce mouvement, mais de le penser ensemble, dans un espace symbolique où il peut se transformer.

La haine, une fois reconnue, cesse d’être agie. Elle devient un matériau psychique, une énergie susceptible d’être remaniée, sublimée, réinvestie dans des liens plus authentiques. Comme le disait Freud (1920) à propos de la pulsion de mort, c’est dans sa mise en mots que réside la possibilité de la transformation.

De la haine à la liberté intérieure

Travailler la haine en psychothérapie, c’est finalement réhabiliter la complexité du lien humain. Apprendre à aimer, c’est aussi accepter de pouvoir haïr. L’amour sans haine n’est qu’idéalisé ; la haine sans amour n’est que destructrice. Entre les deux se joue la possibilité d’un moi plus unifié, d’un rapport plus apaisé à soi et aux autres.

Ainsi, le travail thérapeutique vise moins à éradiquer la haine qu’à lui donner une place symbolique, pour qu’elle ne dévore pas le sujet de l’intérieur. Reconnaître sa haine, c’est se donner la chance d’aimer autrement, plus lucidement, plus librement, plus durablement.

Conclusion : la haine, une voie vers la transformation intérieure

Plutôt que de craindre la haine, la psychanalyse invite à l’écouter, à la penser, à la traverser. Car c’est en reconnaissant nos zones d’ombre que nous pouvons aimer pleinement. La haine, loin d’être un obstacle à l’amour, en est parfois la condition, la trace d’un lien si fort qu’il en devient douloureux. En thérapie, ce travail d’élaboration ouvre la voie à un mieux-être durable, fondé sur la réconciliation avec toutes nos parts, aimantes et haïssantes.

Références psychanalytiques

  • Freud, S. (1915). Pulsions et destins des pulsions. In Métapsychologie.
  • Freud, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir.
  • Klein, M. (1932). La psychanalyse des enfants.
  • Winnicott, D. W. (1947). Hate in the counter-transference. International Journal of Psychoanalysis, 30, 69–74.
  • Lacan, J. (1960). Le Séminaire, Livre VII : L’éthique de la psychanalyse. Paris : Seuil.

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